Alors, et ce roman ?

J’ai fini mon premier roman. Joie ! Joie ?

J’ai fini mon premier roman. Il y a des mois.  Et depuis il me semble être en stase, comme en tétanie.

Je voudrais le voir publié, mais je ne fais quasi rien (deux envois dans des maisons d’éditions surchargées de demande). Comme s’il fallait que ce projet aboutisse avant de passer à autre chose, mais que je refusais en même temps d’y consacrer l’énergie nécessaire. Peut-être est-ce le renoncement au conte de fée qui me prend ce temps : non, mes écrits sur mon blog ne seront pas remarqués, une grande maison d’édition ne me propose  pas un livre, aucun de ces scénarios magiques du 2.0 n’est le le mien. Et alors ? Écrire devrait passer avant tout, écrire surtout sinon seulement, et si ce roman m’a laissée quelque peu exsangue du côté de l’intrigue, je devrais écrire ailleurs, autrement.
Ou le reprendre ? Je sais qu’en l’état il n’est pas publiable. Il manque encore de structure et d’étoffe, cependant, il m’a semblé être allé au bout de ce que je pouvais accomplir seule, avoir suffisamment bataillé avec lui, et devoir m’en remettre à un compagnon de route pour avancer encore. J’ai voulu croire qu’un éditeur verrait le diamant sous la pierre brute et me guiderait dans le processus de taille. Présomption, orgueil, ou peut-être juste besoin d’être choisie, d’être révélée. Manque de confiance, de foi en moi-même.
Il me faut pourtant continuer, je le sais. Toute confortable que l’idée soit, abandonner l’écriture n’est pas une option, ce serait comme renoncer à la dernière parcelle de moi qui n’ait pas été voulue par d’autres, façonnée en fonction d’eux, aimés ou craints indistinctement. Quand j’écris, je  ne suis ni élève, ni épouse, ni amie, ni mère, ni professeure, même si toutes ces expériences nourrissent l’écriture. Je suis un moi qui ne dépend plus de personne, qui ne cherche à satisfaire personne, et l’ego se fait plus petit. Il y a l’écriture, et la course qui m’appartiennent. Mais dans la course les enjeux d’ego me paraissent plus présents, et sans doute est-ce aussi le cas dans la publication, à la différence du processus d’écriture.

Ce n’est pas seulement le temps qui manque, mais l’élan. La période que nous vivons (non pas moi, ma grossesse, mon âge, mais cette époque historique, cette génération aussi) semble tellement insensée. La stratégie du choc, sans doute, qui veut saper toute tentative de comprendre, toute pensée, nécessairement lente, toute construction de sens, et donc d’une direction, un horizon souhaitable. Que créer qui tienne la route ? Toute écriture se doit dans un contexte aussi sinistre de justifier la vie, le temps humain consacré à elle, à cette soustraction au commun peut-être. Quelle tâche immense … Si c’est vraiment ce que je pense (parfois mes propres vérités me sont encore moins accessibles que quoi que ce soit d’autre), il n’est pas étonnant que prendre la plume me soit si difficile. Elle est bien chargée …
Mais écrire n’a jamais été quelque chose de léger pour moi. Il y a du plaisir, parfois, mais également de la gravité. Ou alors : la légèreté peut exister quand il s’agit d’une écriture des faits non intimes, un exercice pour un cours, un article de journal, une traduction. Mais s’il me faut fictionner, inventer, ou décrire mes mouvements intérieurs, il s’agit alors de quelque chose de plus sérieux, de lourd. Quoique peut-être, le format des nouvelles m’avait permis d’échapper à cela.
Cela fait trop longtemps que je n’ai rien inventé, Louise a pris toute mon énergie et il s’agit peut-être maintenant de réentraîner le muscle fictionnel, celui qui crée des personnages et des intrigues, plus que celui qui leur donne chair, plus que l’écriture elle-même.

Tellement de freins entremêlés dans mes non-décisions : donner de la valeur à mon travail d’écriture (la donner moi-même et concrètement, pas recevoir les encouragements et compliments des autres), me surestimer, me sous-estimer … La question est sans doute celle du prochain plus petit pas. Peut-être faudrait-il, à défaut de nager ou de courir, mon ventre plein de vie me compliquant la tâche, que je me mette à marcher, afin que les idées adviennent.