A la fin du billet mon thé sera froid.

Je n’arrive pas à me réchauffer, la tasse de thé à la menthe soudée aux mains, foyer dérisoire. Le vrai feu, celui du poêle, flambe pourtant, mais j’ai froid encore, je vais à l’étage puisque la chaleur monte paraît-il, je tente de la poursuivre, je ne la trouve pas et me résigne à l’attendre.

C’est long d’être un homme une chose
C’est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux

J’écoute Piers Faccini, je ne cherche pas à comprendre les paroles, la musique et le grain de sa voix m’entretiennent de regrets et d’amour renouvelés, de ce à quoi on n’échappe pas. Je lève les yeux sur le ciel de la vallée, au moment précis où les premières gouttes de cette averse-ci griffent la fenêtre.  Elles arrêtent mon regard sur la vitre, je dois le décider pour le porter au-delà et voir la lumière blanche de ce printemps débutant, les arbres encore nus sur la colline en face.

Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l’enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C’est le grand jour qui se fait vieux

En ce jour de municipales, choisir entre deux listes, toutes les deux sans programme et sans étiquette. Pour la première fois j’ai glissé les deux bulletins dans l’enveloppe. L’enfant des pourquoi veut qu’on lui explique ce qu’on fait, je ne sais que lui répondre.  Est-ce que je voterai encore dans dix ans ?

Certains décident chaque jour : Demain, j’arrête. Et moi, chaque soir, seule éveillée encore dans la lumière orange de ma veilleuse, dans cette douceur aiguisée par la froideur d’au-delà de la couette, ressenti comme en échantillon au bout des doigts et du nez,  je me promets : demain, je commence.

Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger

Je me couche tôt, j’allume la loupiote qui n’éclaire que mes pages et je lis, je lis, je lis, sa main chaude sur ma hanche, les reniflements de l’enfant qui ne la réveillent pas, je me plonge dans ce roman qui n’est pas un polar mais qui se lit comme, et qui parle des femmes et de comment on les soigne et comment on les maltraite, et soudain une crampe de nostalgie me prend le ventre, je voudrais que demain soit un dimanche et me promener seule dans une grande ville, je voudrais être seule, sans lui sans elle, sans petit nez à moucher, sans gouttes à mettre dans les yeux fermés serrés à faire mal aux paupières, sans café que je bois alors que je n’en aime que l’odeur et pas le goût, sans voiture qui tombe en panne un jour sur deux et qu’il faudra remplacer, mais est-ce qu’on peut se le permettre, de toute façon il faudra bien comment faire autrement, et pourtant je sais que ces années-ci sont parmi les plus belles de ma vie, les plus aimantes, et que dans dix ans c’est vers ces moments là, vers le son de son souffle dans le lit juste à côté, vers les matins où elle vient dans le nôtre juste une minute avant de descendre prendre son bi-be-ron qu’ira sans doute ma nostalgie.

Quand je serai grande

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je dessinerai sur les murs

je me servirai de mes poings

j’aurai un fou-rire par jour

je ne chanterai pas seulement dans ma salle de bain

je me vernirai les ongles en rouge rouge

j’enverrai des cartes postales

je courrai 8 km d’une traite une seule

je ne serai pas jalouse

je fendrai des buches

je n’aurai presque plus peur

Jolis moments

Laisser la môme pour la première fois en soirée, et l’entendre passer pendant la demi-heure avant l’arrivée de la baby-sitter de « Moi j’ai peur » à « Quand est-ce qu’elle arrive Margaux ? Elle va me lire beaucoup d’histoires ! »

On a rangé et aménagé le balcon, j’y ai même mis des fleurs que je me propose de garder en vie, et me voici plongée dans des abîmes d’indécision, « le fleuriste m’a dit de ne pas les arroser plus d’une fois par semaine mais là ils crèvent vraiment de soif les crocus non ? »

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J’ai couru, la semaine dernière, trois fois. Demain je voudrais courir une demi-heure et en juillet faire la Toulousaine (8 km !)

La perspective de faire un gâteau à quatre mains demain.

Lire une jolie nouvelle d’une copine, donner quelques conseils puisqu’ils ont été demandés.

Bricoler un soliflore.

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Quand la nuit et le froid sont tombés, s’habiller comme pour aller au Pôle Nord, allumer les loupiotes du balcon et y passer un long moment à les regarder, la môme dans le hamac et moi juste à côté.

Quoi transmettre à ses enfants quand on est coupé de sa famille ?

Voilà une question qui m’occupe.

J’ai choisi de ne pas lui transmettre les dettes et les reproches, le refus de se remettre en question.

Je lui transmets sans presque m’en rendre compte le goût des jolies choses, celui de la lecture, le rire. Car oui tout cela a existé aussi dans ma famille d’origine. (Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, le bébé dans ce cas c’est tout ce qui m’a heureusement construite aussi, le bébé c’est toujours un peu moi)

J’ai choisi de lui transmettre ma gourmette en or de bébé, ce matin le bijoutier l’a prise, il ajoutera des feuilles d’or pour effacer mon nom et graver le sien.

Et elle prendra et refusera ce qu’elle voudra.

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Le matin

Parfois, quand je me réveille, l’énergie est tout de suite là, ou les contraintes font que je n’ai pas le temps de me poser la question, hop hop hop à la douche, les habits enfilés, la peau maquillée, les bisous d’au revoir et le sac sur l’épaule.

Parfois, c’est plus difficile, je m’alanguis près du feu, l’ordinateur sur les genoux, en pyjama, vaguement malade, lasse en tous cas, et sans cette étincelle nécessaire à relancer toute la machine, le petit peu d’élan qui s’il me permet d’aller jusqu’à la salle de bain pourra aussi bien ensuite m’emmener par monts et par vaux, tant il est vrai que l’énergie appelle l’énergie, le mouvement la joie, le geste l’action suivante.

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Il y a presque trois ans, enceinte pour la première fois et pleine d’une langueur que pour une fois je vivais bien. Vivre et laisser mon corps faire, laisser grandir en moi l’être humain à venir.

 

Alors tout bêtement je demande à N. de mettre le chauffage dans la salle de bains, ce qui me forcera à y aller d’ici quelques minutes, et puis à m’habiller, et je me préparerai une théière brûlante et je me poserai sur mon bureau avec mes carnets d’écriture et mes pdf de chapitres déjà écrits, et je poserai, l’un après l’autre, les mots de la suite.

 

Encore tôt

J’en ai marre, souvent, d’être la fille au sourire triste.

De sentir dans mes jeunes os une vieillesse précoce.

J’ai à peine trente ans, je suis en pleine santé, et pourtant je me sens centenaire.

Encore enfant, le sentiment que c’était trop tard a pris place en moi. Il m’habite depuis avec une certitude de propriétaire.

Il serait temps d’être jeune, au moins une fois.

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De me faire enfin ce tatouage dont je rêve depuis 15 ans.

De devenir rousse, une fois pour voir.

D’écrire ce fichu premier roman.

De voyager.

De danser, de courir, de chanter, sans sentir le poids d’enjeux terribles sur mes épaules.